les abysses
Y'a de drôles de lumières dans les abysses, ou plutôt y'en aurait si quelque chose pouvait passer des poudroiements du dessus, des histoires de marins de l'Odyssée, même des sirènes qui logent près des balcons bien plus haut s qu'à nos heures. Nous on continue à s'écraser, à lécher ras du gazon les prairies océaniques ; les seusses qui résistent à la pression et au manque de tout.
Des fois on s'imagine qu'on n'en fait pas du tout parti, braqués par quelques projecteurs d'une cloche de plongée et irradiant quelque squelettes d'arbres de noël ou filtrant des décharges visant à capturer de plus petits que soit.
On s'imagine parfois vivre à l'air pur, savoir de quoi sont faites les choses, réagir en conséquence se constituer une vie dans laquelle le sens et les choses auraient comme l'adhérence d'une pièce douce, tapis de coco, coussins le long du mur, nous aussi bien - aussi bien - dehors que dedans.
N'en est rien tout flottant tout flottés par des courants impondérables et des geysers d'eau chaudes nous voilà madrépores tout gonflés dans l'incapacité de saisir autre chose que ces linéaments de l'essentiel ces bribes ces pochons de couleurs qui ne s'illuminent qu'à l'instant de.
Ca continue malgré ça pour l'essentiel, le fait de se laisser flotter, d'imaginer dans un reflet les couleurs de la terre contre le lit de l'eau, et la vie en dessous, c'est à dire l'invisible, c'est à dire non dans le courant c'est à dire en eau douce c'est à dire quelque chose à l'air de quelque chose qui ne soit pas la figure d'un monstre aveugle, mais comme l'astre d'une légende, d'une dispersion de quelque monde écrit c'est à dire décliner chaque nom dans les degrés d'une histoire lisse et flottante.
On s'y retrouverait bien mieux, sauf s'il fallait y aller voir ou si le fait de déjà s'y mirer n'entraînait comme le renversement des choses qu'on aurait vu et que tout, corps et âme ne devait s'y sentir risquer, aspiré c'est à dire par ces modernes Erynnies. Le langage ne fait plus qu'accompagner une certaine descente aux enfers - de l'incertain. De l'indécent et de l'indifférencié, du mélange des ordres - et parfois comme l'attente de la grâce qui tomberait - du ciel.
On découvrirait alors comme l'air d'un jardin, même ici sur ces haut-fonds. Quelque chose continuerait de flotter entre nous comme une part de la vie restée lisse et vide et à emplir de nous, c'est à dire d'une sorte de ligne qui resterait à créer entre chacun et qu'il suffirait de ployer pour forcer quelque chose du monde non pas à s'éxécuter, à s'épuiser, mais à changer comme on change de couleurs comme les pas qu'on passe à deux sont comme d'un autre ordre et un autre monde dans le monde et qu'il serait, à l'instant où on le vit, le tout du monde, quelque chose qu'il y aurait, entre soi et soi, entre soi et l'autre, à emporter.
Ainsi de l'amour et des couleurs des peaux ; on tamise, on entraîne, on devient comme de la couleur - irrisée - qu'on souhaiterait de soi pour l'autre il arrive, par cette conflagration des choses, - qu'on sorte des abysses.