Pour les enfants, pour changer

Publié le par Clara

Une chtite histoire écrite quand on habitait en face de la fameuse place de, pour, par Gaudin.
Elle a été refusée partout, je sais pas pourquoi (trop politique pour des minots, ptête ben).

 

UNE PLACE POUR NOUS


1.

    Ça y est ! La place qui était en travaux depuis des mois est terminée. Juste devant chez moi.
    J'habite au deuxième étage d'un petit immeuble, en plein centre ville. Et dans le centre ville, il y a peu d'endroits où l'on peut se défouler. Ce qu'ils appellent espace vert, ici, c'est la pelouse des ronds-points. Alors cette place, je l'attendais de pied ferme. Elle est fantastique ! Elle fait au moins dix cours de récréation. On pourrait même dire plus, vu la taille minuscule de la cour de mon école. Le sol est d'une pierre rose et lisse. Il y a quatre niveaux, séparés par quelques marches. À certains endroits, des plots en métal n'attendent qu'une chose : qu'on slalome entre eux. Ils ont même prévu des rampes d'escalier bien raides, exprès pour qu'on puisse y glisser. Je suis trop contente.
    — Maman, je peux sortir sur la place ?
    Maman réfléchit un instant. En général, elle ne me laisse pas sortir seule, même si j'ai déjà neuf ans. Elle a trop peur de la ville et de tous ses dangers. Une fois, elle m'a laissée aller acheter du pain, à trois rues d'ici. Elle était dans tous ses états, quand je suis rentrée. Elle m'avait prise dans ses bras comme si j'étais revenue d'un long voyage en Patagonie. Mais là, quand même ! C'est juste devant : elle pourra me surveiller par la fenêtre. Et puis, il n'y a aucune voiture.
    — Maman, s'il te plaît...
    — Bon... Écoute, Mathilde, on va faire une chose. Je vais attacher le sifflet de papa à une ficelle que tu porteras autour du cou. Si tu as un problème, tu siffles et j'accours. Je laisse la fenêtre ouverte, de toute façon, par cette chaleur.
    Papa est professeur des écoles. Parfois, pour faire du sport avec ses élèves, il utilise un sifflet en métal. Maman, elle, travaille à la maison. Je ne sais pas vraiment ce qu'elle fait, en tout cas elle est tout le temps devant son ordinateur. Ce qui est chouette, c'est qu'elle est toujours là pour moi.
    Elle va chercher de la ficelle dans la boîte à outils, et elle me fabrique mon collier de la liberté. Certes, il n'est pas très beau, mais je le laisserai sous mon tee-shirt.
    Je prends ma trottinette, je fais un bisou à ma mamounette, et je franchis la porte. Seule ! Trop bon.

2.

    Plein de gens ont eu la même idée que moi, bien sûr. Il y a surtout des tout petits enfants avec leur maman ou leur papa. Ils n'attendaient que ça, eux aussi, pour sortir. Les parents sont assis sur de grosses pierres taillées qui servent de bancs. Les petits courent partout. Les enfants un peu plus grands font du toboggan sur les rampes d'escaliers.
     Et moi, je m'éclate avec ma trottinette. Ça glisse super bien, ici ! J'ai l'impression de voler. Au bout d'un moment, je vois un groupe de skaters qui arrive. Ils font des figures de folie ! Ils sautent par-dessus les marches. Leurs planches prennent appui sur les rambardes ou les bancs de pierre, puis les quittent en tournoyant. Un véritable spectacle. Parmi eux, il y en a un qui est très jeune. Enfin, il a l'air d'avoir mon âge. Je reconnais Nassuf ! Il est dans mon école, dans l'autre CE2. Il me voit aussi, et vient vers moi.
    — Salut, Mathilde.
    — Salut, Nassuf. C'est super ce que tu fais.
    — Ouais, merci. C'est génial, cette place. Avant, on était obligés de prendre le bus. Le seul endroit où on peut faire des figures est super loin. Tu te débrouilles bien, en trottinette, toi aussi !
    Je crois que je rougis un peu. On se remet tous les deux à frimer sur nos roulettes, en se faisant des sourires de temps en temps.
    Puis on voit arriver deux policiers. Ils sont vêtus tout en bleu, de la casquette aux chaussures. Dans leurs dos, une inscription blanche nous dit qu'ils font partie de la police municipale. L'un d'eux fait tournoyer son collier à sifflet, tout comme le mien. La ficelle s'enroule autour de son index, puis il la déroule, et il recommence. Ils marchent doucement vers nous. Puis ils nous disent :
    — Il va falloir s'en aller, les jeunes. Tous les objets à roues et roulettes sont interdits, ici.
    — Mais pourquoi ? demande Nassuf.
    — C'est le règlement. Et puis, vous abîmez les pierres avec vos planches. Vous savez combien elles ont coûté, ces pierres ?
    — Non, admet un grand avec des cheveux longs.
    — Moi non plus, je ne sais pas, répond le policier. Ce que je sais, c'est que c'est cher. Elles viennent de Chine, ces pierres ! L'architecte a même fait renvoyer des palettes entières parce que la couleur ne convenait pas, alors vous voyez...
    — Y'a pas de pierres en France ? demande un skater.
    L'autre policier soupire. Il finit par répondre :
    — Écoutez, les jeunes, on n'y peut rien, nous. On doit juste faire appliquer le règlement. Il y a dix caméras sur cette place, et on est juste en face de l'hôtel de ville. On est coincés comme vous...
    Je me demande s'ils vont aussi virer les bébés en poussette. Ils sont bien à roulettes, eux aussi ! Mais on ne dit plus rien, et on s'en va en rentrant la tête dans les épaules.


3.

    On s'installe sur les marches qui bordent la place. Les planches et ma trottinette gisent devant nous, inanimées. C'est trop bête.
    — Il n'y en a que pour les vieux, dans cette ville, grogne une jeune fille qui fait faire des va-et-vient à sa planche avec son pied.
    Un petit garçon, à côté de nous, joue au toboggan sur une rambarde d'escaliers. Je me rends compte qu'elle n'est pas si géniale que ça, cette place. Pourquoi n'ont-ils pas construit de vrais toboggans, par exemple ? Le petit gamin court pour recommencer sa glissade. Mais il évalue mal la distance, et se cogne contre l'extrémité de la rambarde. Et elle est pointue ! Le petit garçon hurle de douleur en se tenant le front. Son papa accourt. Il le prend dans ses bras en criant, en direction des policiers :
    — C'est pour achever les enfants, ces rambardes ? Pour une fois qu'un bel espace est construit, il n'est pas adapté aux enfants, c'est une honte !
    Tout le monde, sur la place, acquiesce de la tête et se met à râler aussi. En fait, personne n'est content. Elle n'a pas du tout été faite pour nous, cette place. Je ne sais pas pour qui, mais pas pour nous. Je ressens une immense injustice. Je tourne la tête à l'opposé de mon immeuble. Un beau bâtiment s'y trouve, où il est inscrit : Hôtel de ville. Il est très vieux, mais aussi très beau. Il est fait avec des pierres exactement du même rose que celles de la place.
    J'ai soudain une idée. Je chuchote à l'oreille de Nassuf. Il se met à rire, puis s'approche de l'oreille du grand aux cheveux longs. Celui-ci parle à la jeune fille, et ainsi de suite. À la fin, on a tous les yeux qui brillent. Il n'y a qu'un brun tout frisé, qui trouve à y redire :
    — Pfff, ça ne marchera jamais. Vous croyez que c'est si facile de changer les choses ? ...


4.

    Souvent, de nos fenêtres, on voit plein de gens super bien habillés. Des hommes en costume, des femmes en tailleur avec des chaussures à talons immenses... Maman m'a expliqué que c'était parce que sous la place, l'architecte a imaginé un immense souterrain. Il relie les bâtiments de l'hôtel de ville entre eux. Les ouvriers y ont aussi construit plusieurs salles de conférence. Il paraît qu'elles sont superbes. Peut-être qu'en réalité, cette place que je trouvais géniale, c'est seulement le toit du souterrain de Monsieur le Maire.
    De temps à autres, le Maire de notre ville organise donc des réunions dans son souterrain, où les gens sont bien choisis et bien habillés. Nous, on les regarde par la fenêtre, et on a envie de leur jeter des cacahouètes.
    — Cet après-midi, me dit maman, il y aura une conférence sur l'urbanisme. C'était écrit dans le journal.
    Je demande :
    — C'est quoi, l'urbanisme ?
    — Hé bien, c'est la façon d'aménager les villes. C'est pour trouver une façon de construire qui convienne à tous les citoyens...
    — C'est quoi, un citoyen ?
    — C'est quelqu'un qui habite dans la ville, qu'on appelle aussi la cité. C'est nous, quoi !
    — Ça nous concerne, alors, cette conférence ! On peut y aller, nous aussi ?
    — Oh, je ne crois pas, ma puce. Je pense qu'il faut être invité...
    Je grogne un petit peu, mais pas longtemps. J'attends l'après-midi avec impatience.
   
    Les messieurs cravatés et les dames à talons commencent à arriver. Ils attendent devant l'entrée du souterrain. Par grappes de trois ou quatre, ils discutent calmement.
    — Maman ! Je sors sur la place !
    — D'accord, ma chérie. N'oublie pas ton sifflet.
    Je ne risque pas de l'oublier. Je prends aussi ma trottinette pliée, sans que maman le voie. Elle sait maintenant que c'est interdit sur la place.
    Je me retrouve au milieu de tous ces gens importants, ma trottinette à la main. Les deux policiers ne sont pas loin, en face de l'hôtel de ville. Ils me regardent d'un drôle d'air. Ils ne craignent qu'une chose, c'est que je déplie mon engin pour m'en servir. Je me sens une dangereuse criminelle. Si je tenais un pistolet entre les mains, ce serait pareil. Tout autour de la place, les copains en planches à roulettes trépignent. Ils font des toutes petites figures minables, sur les trottoirs, les pauvres. Je vois Nassuf, assis sur une marche, la tête entre les mains. Tout le monde me regarde. Chacun a compris que le moment était venu...



5.

    J'attends qu'il y ait le plus de monde possible. C'est au moment où l'un des hommes en costume arrive pour ouvrir les portes du souterrain que j'agis. Je sors mon sifflet de sous mon tee-shirt, et je souffle de toutes mes forces. Puis je déplie ma trottinette.
    C'est super drôle parce que tous ces gens bien mis ont fait un bond d'au moins un mètre. Il y a même un homme qui a poussé un cri de terreur. En moins d'une minute, tous les copains se sont retrouvés autour de moi, avec leurs planches. Ils slaloment entre les gens, ils les frôlent. Ils font des trucs de fou ! Forcément, on entend des paroles du genre :
    — Les jeunes d'aujourd'hui n'ont aucun respect !
    Nous, on s'en moque, on continue de plus belle. Les deux policiers ont accouru, bien sûr. Ils vont partout en essayant d'attraper l'un de nous, mais on est bien trop rapide. Ma trottinette manque  rouler sur les pieds d'un homme un peu gros avec des cheveux blancs. Il parvient à saisir mon tee-shirt. Je suis fichue.
    — Chère petite demoiselle, me demande l'homme. Puis-je savoir ce que tout cela signifie ?
    J'essaie de ne pas perdre le fil de mon idée. On n'est pas là pour rien, après tout.
    — Nous aussi, on veut parler d'urbanisme, dis-je. On est aussi des citoyens, comme vous !
    Les deux policiers arrivent et m'attrapent chacun un bras. Ils sont tout en sueur. Celui qui jouait avec son sifflet a l'air bien moins fier que d'habitude. Il bafouille :
    — On est v... vraiment dé... désolés, monsieur le Maire...
    Monsieur le Maire ? Je suis réellement face à Monsieur le Maire ? C'est une occasion en or ! Mes copains aussi ont entendu. Nassuf et les autres s'approchent de nous. Mais c'est aussi à ce moment-là qu'arrive maman. Bien sûr, elle a entendu mon coup de sifflet ! Elle a cru qu'il m'arrivait quelque chose. Elle a la bouche grande ouverte quand elle me voit ainsi entourée. Mais je la rassure d'un geste.
    — Ne t'inquiète pas, maman. Je discute avec Monsieur le Maire.
    Celui-ci se met à exploser d'un rire énorme. Puis il prend la parole :
    — Relâchez cette petite fille, dit-il aux policiers. On dirait qu'elle a des choses à nous dire.
    Puis il me regarde avant de continuer :
    — Allez-y, mademoiselle. Vous avez ici toutes les personnes qui s'occupent de l'urbanisme de cette ville : juristes, architectes, sociologues, paysagistes... Exprimez-vous, puisque c'est ce que vous cherchez à faire...
    Je deviens toute rouge. J'ai la gorge sèche, mais je ne peux pas me défiler. Tous les copains me regardent. Nassuf me pousse du coude, alors je me lance :
    — Monsieur le Maire, ce n'est pas juste. Il n'y a pas grand-chose pour les enfants dans votre ville. Cette place, pour commencer...


6.

    Je parle un petit moment, puis les autres prennent le relais. En fait, c'est le grand aux cheveux longs qui explique le mieux ce qu'on veut dire. Tous ces gens importants forment un cercle autour de nous, et écoutent d'un air intéressé. À la fin, le Maire hoche la tête et dit cette chose inespérée :
    — Vous avez raison.
    Il promet qu'ils vont en discuter entre eux, lors de leur conférence. Puis ils entrent dans leur souterrain, et on reste seuls avec les policiers.
    — Maintenant, déguerpissez, nous sifflent-ils.
    Ils sont très en colère à cause de ce qui vient de se passer. Je dis au revoir à Nassuf, et je  rentre chez moi avec maman.
    Une fois à la maison, je lui dis  :
    — Tu vois, ils nous ont écouté ! Ils vont modifier la place !
    Maman soupire et me répond :
    — Tu sais, ma puce, ces gens-là, parfois, ils disent quelque chose et ils font tout autrement. Tu crois que c'est si facile de changer les choses ?...
    J'ai déjà entendu ces paroles. Ça me déprime un peu. Je m'allonge sur mon lit, et je regarde par la fenêtre. Aucun enfant ne joue dehors.         
    Mais un mercredi, je vois des ouvriers qui arrivent. Ils s'activent autour des rambardes des escaliers. Quand ils s'en vont, je descends pour voir ce qu'ils ont fait. À l'extrémité des rambardes, ce n'est plus pointu. À la place, ils ont mis des bouts tout ronds, tout doux. Les enfants ne pourront plus se blesser le front ! Je trouve que c'est un bon début. Pour fêter ça, je fais une super glissade. Je suis sûre que les choses ne vont pas s'arrêter là...

7.

    Quelques mois plus tard, je crie à maman :
    — Je descends sur la place !
    Une fois dehors, je me rends d'abord sur le premier plateau, celui qui est le plus haut. Je fais un grand signe à Nassuf, qui se trouve tout en haut d'une rampe en ciment. Il me rend mon salut, avant de s'élancer. Il plie les genoux et tient sa planche d'une main. Il va super vite ! Il tourne sur lui-même, tout en bas, puis remonte de l'autre côté. Tous les autres skateurs sont là aussi, et s'éclatent sur l'espace qui leur est spécialement réservé. Tout autour, d'autres font du patin à roulettes, ou de la trottinette.
    Sur le plateau du dessous, des enfants plus petits jouent à la balançoire ou au toboggan. Pour qu'ils ne se fassent pas mal en tombant, un sol spécial, un peu mou, a été installé.
    Les deux autres plateaux sont comme avant. Les personnes les plus âgées peuvent s'y promener sans risque. En fait, il y en a pour chaque âge, pour chaque besoin.
    Je file sur ma trottinette devant l'hôtel de ville. J'évite de justesse un homme qui en sort.
    — Oh, pardon, monsieur !
    — Ce n'est rien, mademoiselle... Mais, je te reconnais !
    C'est Monsieur le Maire ! Je crois que c'est le moment de le remercier de nous avoir écouté. Je marmonne :
    — Merci... Pour tout ça.
    — Oh, c'est moi qui dois te remercier : notre ville a reçu un prix. Le prix de l'enfance ! Parce qu'on se soucie de la jeunesse, dans ma ville...
    Il me fait un clin d'oeil en me tapotant la tête. Nassuf et les autres me regardent avec des yeux ronds. Ben oui, je suis comme ça avec le Maire, moi !
    Pendant qu'il s'éloigne, je me dis que c'est vrai : il est très difficile de changer les choses.
    Mais en tout cas, ça vaut la peine d'essayer !

Publié dans Clara

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S
Mon Dieu le soleil brille dehors, les oiseaux gazés agonisent, vous n'avez donc rien de mieux à faire de ce samedi après-midi, Si, des enquêtes professionnelles...Ahhh, à la bonne heurque
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S
C'est épouvantables des choses pareilles...Merci monsieur M
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R
Ouais le poireau jusqu'aux amigdales, ouais !Vas-y Robert, muscle ton jeu !!
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M
Mes chers amis,Hier soir avec Ad, au cours d'une réunion à la lueur des étoiles nous avons décidé avec le chargé de com que, (et je profite de la question de Clara et de l'altitude de Barbouille) que, donc, le style de ce blog particulièrement rehaussé et littéraire serait fleuri et parfumé comme un vase de crystal auprès du feu, oui ce me semble être, cette image, proche de ce que cet endroit se veut, agréable et cosi etc.Evitons les méprises et l'intervention de personnages farfelus qui ne sont que temps perdus et chimères pauvres d'invention etc.
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M
Ouais, c'est vrai Ronie, on va leur enfiler qeq'chose à tous ces cons des blogs, nonnmais !
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