Albert Camus à René Char
Vendredi 30 octobre 53
Albert Camus
J'aime ce vers que vous avez coupé :
- Le doux vide auquel je crois -
Cher René,
Merci, sans attendre, de ce très beau poème dont j'aime l'émotion légère et profonde. Oui, renoncer à l'enfance est impossible. Et pourtant, il faut s'en séparer, un jour, extérieurement au moins. Mais être un homme, subir d'être un homme et parfois, aussi, subir les hommes, quelle peine ! Coïncidence : je pensais aussi ces derniers temps à Alger et à mon enfance. Mais j'ai grandi dans des rues poussiéreuses, sur des plages sales. Nous nagions, et un peu plus loin c'était la mer pure. La vie était dure chez moi et j'étais prodigieusement heureux, la plupart du temps. Mais pourquoi vous dire tout cela ? Votre poème m'a remué, voilà tout, et je ne supporte pas bien ma vie en ce moment. Reposez-vous, cher René. Malgré votre courage, je vous sens fatigué. Travaillez à l'écart et continuez d'être celui qui parle dans ce poème, celui que j'aime et que j'admire. A vous, de tout coeur
Merci, sans attendre, de ce très beau poème dont j'aime l'émotion légère et profonde. Oui, renoncer à l'enfance est impossible. Et pourtant, il faut s'en séparer, un jour, extérieurement au moins. Mais être un homme, subir d'être un homme et parfois, aussi, subir les hommes, quelle peine ! Coïncidence : je pensais aussi ces derniers temps à Alger et à mon enfance. Mais j'ai grandi dans des rues poussiéreuses, sur des plages sales. Nous nagions, et un peu plus loin c'était la mer pure. La vie était dure chez moi et j'étais prodigieusement heureux, la plupart du temps. Mais pourquoi vous dire tout cela ? Votre poème m'a remué, voilà tout, et je ne supporte pas bien ma vie en ce moment. Reposez-vous, cher René. Malgré votre courage, je vous sens fatigué. Travaillez à l'écart et continuez d'être celui qui parle dans ce poème, celui que j'aime et que j'admire. A vous, de tout coeur
Albert Camus
J'aime ce vers que vous avez coupé :
- Le doux vide auquel je crois -