Les larmes aux yeux

Faut pas croire, ça arrive incidemment, les larmes aux yeux ; ou quand on pousse un fauteuil - encore un -, au pied de l'ascenseur et qu'on dit un truc, après avoir pas mal partagé,  et quand tout à coup, quelque chose revient, un bloc de quelque part, de vraiment loin quand vivait l'amour et quand on se souvient je sais pas, de l'importance qu'avait l'autre ou de celle qu'il a encore dans votre vie ; un fils perdu, par exemple. Une cassure. 

Une autre fois, plus loin dans la journée, quand on évoque l'horreur des bombes et soi, dans la guerre, et qu'à travers toutes les dates, on s'imagine - et l'autre ne peut se le représenter - à la fin, dans les bunkers, attendre à la Libération si l'on sera ce qu'enterreront les chapelets, si hauts perchés, des bombes. Faut entrer dans la voix et la culbute des événements et cette manière de les porter, là ; une description de l'impossible. L'interlocuteur, l'écoutant ne peut pas comprendre. Peut-être ressentir. ressentir le corps de l'autre emmené autre part par cela, son destin d'exception. Peut-être y avait-il de cela, la mort comme les bombes, comme disait l'autre "féerie pour une autre fois". Une fois de plus. 

La voix porte cela, plus que le geste, pareillement. La voix se met à dire le complexe d'une situation,  les larmes abolissent la distance du corps à ce qu'on appelle l'âme ; la même chose pour l'occasion, le même rythme sur la peau, pourvu qu'on soit près. Ce corps revient de loin, dans ce fleuve. Au début l'écorce, puis les corps, puis l'histoire de chacun, sa vie, l'incorporel qui s'en dégage. 

Ou la tristesse devant la vitre, ce qu'on imagine de tristesse devant les yeux bleus aussi bleus que la vitre, aussi profonds, aussi lointains. Faudrait une musique douce mais il n'y a pas de musique. Beaucoup sont loin, et plus encore là-bas, devant la fenêtre. Les marrons sont déjà tout piquants.