Coupures

Publié le par Clara

 

Le ciel est magnifique ce soir, nuages gris, noirs, mouvants, j'ai de la chance, je les vois de ma fenêtre, je les vois courir vers d'autres lieux, peut-être des lieux où vous êtes, vous. On ne verra pas les étoiles, on les imaginera, sous ce ciel moutonné.

Je pense à un personnage, ce serait une fille, pas de celles dont on parle dans les magazines, elles n'existent pas ces filles-là, on les fabrique, juste. Ce serait une fille comme nous, comme la Camille de Fred Vargas, de celles qu'on ne verra pas tricoter des doudous rigolos et les vendre sur blog, pas de celles qui font du achteting (ah bon on dit shopping ?), pas de celles qui portent des pantalons serrés en bas, quelle idée, pas de celles qui ne vivent que pour les hommes, j'en suis désolée, les hommes.
Cette fille-là, elle se dessine dans ma tête, peu à peu. Ce ne sera pas moi, ce sera un de ces personnages dérangé par l'écrivaine, je me ferai pourtant la plus petite possible, promis. Elle ne serait pas d'une beauté qui tue, elle aurait cette beauté à nous filles ordinaires, juste la lumière dans le regard. La démarche souple, elle ne porterait pas de talons à ses chaussures. Mais elle aurait des plis dans l'âme, des plis et des replis, un millier peut-être. Chaque pli se défroisserait légèrement sous les mouvements de l'âme, comme dirait m à la manière d'un accordéon, et cela lui ferait échapper un souffle entre ses lèvres, une musique à elle que n'entendrait que celui qui l'aime. Car elle serait aimée, Laurène, oui elle s'appellerait Laurène, elle serait aimée, mais par un être compliqué. On n'aime pas les êtres compliqués, se dirait Laurène. Sa quête, ce serait une vie simple, juste simple, qui coulerait de source. Elle ne saurait pas encore que les sources se tarissent ou finissent saumâtres. Elle feindrait d'ignorer que ce sont les flux et les reflux qui font la vie, les courants, les torrents et les grandes rivières.
Laurène ne voudrait pas voir cela. Laurène se réfugierait dans les belles phrases, repousserait celui qui l'aime tant, elle aurait peur de tant de pureté, tant de sincérité, elle trouverait ça anormal, anachronique, effrayant.
Son truc à elle, ce serait les vitres, les cadres et les miroirs. Son boulot à elle, ce serait de les couper sur mesure, de voir passer de magnifiques reproductions de tableaux, qu'elle serait chargée d'encadrer et vitrifier. Donner des limites à la beauté, instaurer une surface vitreuse entre elle et la beauté, voilà ce serait cela son travail. Parfois il faudrait couper un miroir, dans lequel elle se mirrait auparavant. Elle trancherait dans son reflet, sans le moindre regret. Peut-être qu'elle ne se verrait pas, au fond.
Le garçon qui l'aime, ce serait peut-être un gardien de musée, ou un forain qui possèderait un labyrinthe de miroirs, ou un photographe, ou encore un peintre. Il serait alors fameux, genre Picasso, il la contemplerait comme ça et se dirait elle croit que pour elle je ne suis rien, mais je sais bien que je compte, je vais l'en persauder, peu à peu, très doucement avec infiniment de douceur. Alors il irait courir sous la pluie pour oublier qu'elle croit que pour elle il n'est rien, il lirait des poètes sublimes et n'y trouverait aucun réconfort, tant pis tant mieux au fond c'est celui qui aime qui vit le plus intensément. Ce serait lui le plus heureux.
Elle, elle coupe la beauté.
Voilà, ce serait un peu ça, je crois, oui. Je réfléchis aussi à un jeune garçon d'une quinzaine d'années fou amoureux d'une fille et de peintures, le tout lié, il serait extrèmement fou et extrèmement amoureux comme on l'est à 15 ans, ce serait extrèmement beau.
Comme toujours, oui, c'est une quête de beauté, c'est une question d'apparences, au fond, sous un ciel gris et noir et moutonneux, où les étoiles sont cachées.

Publié dans Clara

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L
et bien tu m'as vraiment mis l'eau à la bouche! je sens que je vais adorer!!! vite, vite, j'ai pratiquement épuisé les Vargas!
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