L'enfance de Doumé

Publié le par Clara


Ca alors, je viens de tomber sur un de mes vieux textes que j'avais complètement oublié. Je ne me souvenais pas avoir imaginé l'enfance de Doumé, oui celui-là même de notre Violette ! Je vous copie-colle un extrait.
La narratrice est une petite fille toute brune, que ses parents ont appelée Blonde. Sa mère s'appelle Judith...




- Blonde ! Viens voir ce scarabée. Regarde, il brille !
J’avais douze ans. Doumé et moi passions le plus clair de nos après-midis de vacances d’été aux Pierres Plates. Maintenant, on appelle cet endroit le J4. Pas très poétique. Je continue de dire les Pierres Plates. De cette grande place où s’installent les cirques de temps en temps, on peut voir la mer scintillante qui s’étrangle entre la digue qui court jusqu’à l’Estaque, et le palais du Pharo. Elle s’échappe ensuite pour caresser les îles du Frioul, avant de s’enfuir vers des pays qui sentent le henné. Comme les mains et les cheveux de mon amie Nesrine.
On peut voir aussi la Bonne Mère, de l’autre côté. Notre-Dame de la Garde, c’est une Vierge à l’enfant qui domine une petite basilique, accrochée tout en haut de la colline du Roucas Blanc. Elle couve de son regard les bateaux, depuis longtemps.
Ce jour-là, j’avais les pieds dans l’eau, les fesses posées sur un des gros rochers qui bordaient l’eau. Mes mains me brûlaient un peu, derrière moi sur l’asphalte brûlant. J’avais fermé les yeux, offrant mon visage au soleil formidable, là-haut. Judith, elle, ne sortait jamais sans un chapeau à larges bords, pour protéger son teint pâle et délicat. Moi je m’en fichais, je voulais bronzer et j’y parvenais assez bien.
J’ouvris les yeux pour les poser sur Doumé, accroupi non loin. Ce minot était incroyable, déjà. Il avait le sens du détail, c’était le moins qu’on put dire. Quand on se baladait, il remarquait des tas de choses auxquelles je ne faisais pas attention. Les feuilles des platanes qui dansaient doucement. Les taches de lumière qu’elles faisaient ondoyer sur mon visage. Mais aussi le boulon qui dépassait d’une barrière métallique, ou encore le papier d’aluminium abandonné dans les graviers, qui avait la forme d’un cœur étincelant.
Je remis mes pieds mouillés dans mes sandales, me levai et allai près de lui.
- Ah oui, il est chouette ton scarabée. On le brûle tout de suite, ou on lui enlève ses ailes d’abord ?
Doumé me lança un beau regard effrayé. Bien malgré moi, je ressentis comme de la guimauve dans la poitrine. Sa tignasse noire était parsemée de grains de sable et de quelques brins d’herbe. On venait de jouer dans la pelouse, juste à côté. Ses yeux tout aussi sombres luisaient. Ils prenaient toute la place dans son visage maigre, aux lèvres quasi-inexistantes.
J’éclatai de rire.
- Ça va, Doumé ! T’as qu’à le garder dans un bocal, ton trésor. Mais je suis pas sûre que ce soit mieux que la mort.
Je me levai et m’éloignai avec mépris. Je tremblai un peu en lui tournant le dos. Je savais combien Doumé pouvait être imprévisible. Mais je devais être forte. Ne pas me retourner. Continuer mon chemin avec un faible sourire sur les lèvres.
Je l’entendis siffler :
- Tu ne perds rien pour attendre, sale peste.
Prise de panique, je me mis à courir. Je me retournai quand même, un bref instant. Il courait aussi, il me suivait, habité par la haine qui coulait de ses yeux.
Je courais le long de la mer qui m’encourageait. Le soleil, quant à lui, m’écrasait. Il était de son côté, c’est sûr.
Mon pied droit loupa le sol. Ce fut à cause du pied gauche de Doumé, par un fameux croc-en-jambe. Douleur. Aux mains et aux genoux. Mais je n’eus pas même le temps d’y penser, parce que Doumé venait de me prendre les poignets pour les joindre dans mon dos. Il les serra d’une seule de ses mains déjà grandes, et de l’autre il me maintint le visage au sol. Les graviers me rentraient dans la joue. J’en avais quelques-uns dans la bouche, et même un dans une narine.
- Répète un peu pour voir ? me souffla-t-il dans l’oreille.
- Arrête, t’es con.
Deux secondes emplirent l’espace, pendant lesquelles je ne percevais que le bruit des vagues se fracasser contre les rochers. Il finit par me relâcher. Je me relevai, m’assis face au Palais du Pharo, sur l’autre rive. Doumé se mit aussi en tailleur. Cette fois, trois secondes passèrent. Le plus simplement du monde, il dit :
- Mes parents vont m’acheter un appareil photo. Je suis vachement content.
- C’est cool, répondis-je. Tu pourras enfin les mettre en boîte sans les emprisonner, tes scarabées.
Je me mis à rire bêtement, mais il rit aussi, ce qui était plutôt rare. Nos rires fusèrent, de plus en plus fort, dans un pur moment de bonheur. On l’offrit à la mer.

Publié dans Le roman de Violette

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