Dans la nuit

Publié le par Clara

nuit.jpgHier, j'ai marché dans la nuit.
Les façades délivraient leurs aspérités en perspectives inédites. Les réverbères étalaient sur le sol pavé des traînées humides. Le froid imposait son silence. Je le foulais de mes pas, puis le peuplais d'histoires de cinéma. J'étais l'héroïne de la pénombre, de ce monde parallèle et cotonneux, aux filaments de lumière colorée.
Heureuse du son de mes semelles, de mon ombre longue sur le sol.
Deux hommes approchaient. Ils ont cessé de parler entre eux en me croisant. Je n'ai pas regardé leur visage. J'ai souri à leurs fantômes, à côté.
La ville, lorsqu'elle est petite, a la nuit calme en novembre. Je ne peux pas vraiment, en ce qui me concerne, écrire de chronique métropolitaine : je suis désormais semi-urbaine.
Je ne connais plus la peur énervante de sortir seule la nuit.
Depuis toute jeune, révolte d'avoir perdu sans jamais l'avoir gagnée cette liberté élémentaire de se promener dans la ville, la nuit. Cela semblait tellement beau. Enfant, j'en rêvais, je me disais que grande enfin je pourrai connaître le silence glacé des nuits noires, le halo des lumières artificielles où la réalité était sans doute plus lente ou plus rapide. Grande, on m'apprit que la nuit était aussi dangereuse pour une femme que pour un enfant. Toujours détesté que l'on mette femme et enfant dans le même sac à l'opacité terrifiante.
Connu la nuit avec des amis. C'est moins beau, en tout cas différent, accompagnée. Chaperonnée.
Puis bravé la peur, souvent, étudiante. Par nécessité, par amour, par goût de la liberté, par inconscience ? Par envie de croire que ce n'était pas vrai. Mais peur, quand même, lorsque survenait le bruit d'autres pas que les miens, surtout s'il s'agissait du son mat et déterminé de chaussures masculines, on apprend à le reconnaître. Très énervant d'avoir peur des hommes, de suspecter chacune de leur ombre de mauvaises pensées. Très énervant de choisir de ne pas mettre de jupe, de talons hauts (leurs bruits, c'est dans les films, le tac tac des talons hauts dans le noir attire invariablement le pervers, n'est-ce pas ?). Très énervant d'avoir en tête ces histoires, pas seulement des faits divers, c'est arrivé à ma voisine ma soeur une amie. Les téléfilms : montrait-on jamais une femme se promenant seule dans la nuit avec légèreté ? Jamais. Et puis rumeurs urbaines : dans cette rue, c'est connu, ce parc, mal famé tu sais. Choisir les rues les plus éclairées, les plus fréquentées, ne pas marcher trop vite, ne pas montrer sa peur - ou alors ça c'est pour les chiens ? Je ne sais plus.
Abordée, souvent. Avec agressivité, c'est arrivé. Bizarrement plus de peur du tout dans ces moments-là. La peur niche dans les fantasmes, les représentations les images les statistiques, pas dans ma réalité. Dans la réalité, cet homme qui m'invective, il est tellement humain devant moi que je ne parviens pas à le craindre. Je réfléchis juste à ce que je dois faire, ne pas lui répondre, un sourire vague peut-être ? J'agence dans mon esprit les étapes de ma défense. Le plus souvent, je me dis que je saurais lui parler, que j'en aurais le temps. Immense confiance dans mon sens de la psychologie.
Des exhibitionnistes, j'en ai compté sept. J'ai commencé à en faire le compte au troisième, par jeu. Je me suis dit tiens, c'est curieux, j'ignorais qu'ils étaient si nombreux. Eux, je ne les crains pas, je devrais peut-être. Je devrais ?
Une nuit, un garçon s'est approché, j'ai eu comme un sursaut, puis il m'a tendu une fleur.
Et hier soir, je n'ai pensé à rien, j'ai glissé dans la nuit de ma petite ville. Ce fut en croisant ces deux hommes que j'ai réalisé, avec une pointe de joie calme : je n'ai pas peur d'eux.

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C
Lorsque la nuit est noire, les écrans sont allumés dans les foyers. Sur une liste traitant de pédagogie, je lis ceci ce matin :Hier soir, Nième débat sur l'école, entre Meirieu et Finkelkraut.A l'arrivée d'un invité, Christine Ockrent présente Philippe Meirieu en disant qu'il "décri" le système éducatif.Meirieu veut lui faire préciser : "avec un -t- ou avec un -e- ?"Ockrent de répondre : "Avec un -t- bien sûr : je connais mon orthographe !"Je suis sûre que cette chère Christine a lu notre blog une nuit particulièrement ténébreuse, et a été terrifiée par Bernard Pivote, au point d'en oublier le joli sens des mots.
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