La graine et le mulet - 2

Publié le par Clara

Shéhérazade voulait à tout prix le voir. Lolo et moi l'y avons accompagnée.
Pour l'illustrer, je suis d'accord avec l'image qu'a choisie m, il s'agit de la scène la plus jolie, de la relation la plus saine et pure du film. La jeune comédienne de cette image est formidable. Tout dans ses gestes, sa façon de parler, m'a rappelée mes petites élèves de Marseille, lorsque j'avais des classes de cycle 3. Elles étaient aussi attachantes, émouvantes, à fleur de peau. Elles dansaient bien, elles aussi !
Du coup, j'ai eu une impression de très grande familiarité. Pas du tout d'étrangeté.

C'était très chouette de voir ce film avec Shéhérazade. Comme la fois où on était allés voir Azur et Asmar, elle traduisait ce que moi en tout cas je ne pouvais pas comprendre.
C'était la seule de la salle à éclater de rire pendant la scène de couscous familial.
Mais lorsque nous sommes sortis du ciné, c'était aussi elle la plus en colère.
En colère contre la vérité montrée par ce film : les femmes, les hommes, l'hypocrisie partagée, rien de manichéen en tout cas. Elle répétait : c'est vraiment comme ça, c'est ça qui est énervant !
Difficile de dire ce qu'en a pensé Lolo, hormis le fait qu'elle aurait peut-être aimé davantage d'évasion.

Quant à moi, je ne veux plus entendre parler de couscoussière pendant tout 2008. Traumatisée.
Pas vraiment de colère. Plutôt heureuse que le réalisateur n'ait pas choisi d'angle polémique souvent racoleur, et plus trop d'actualité. Je veux dire par là qu'il n'y est jamais question de religion, mais seulement de traditions. L'intégration y est traitée tout en douceur, ce n'est pas le thème du film, on le voit, ils sont déjà intégrés. C'est juste l'histoire particulière d'une famille d'origine maghrébine en France. Ca aurait pu être celle d'une famille de souche purement française, d'origine modeste, l'histoire aurait été semblable.
Shéhérazade m'a dit : ah mais quand même, non, il y a davantage de solidarité, chez nous ! Ca se voit à la fin du film.
J'aime que de tels personnages ne soient plus marginalisés, posés en victimes, ou en révolte constante comme ça l'a longtemps été dans le cinéma français. Non, ils essaient de s'en sortir, voilà tout, avec bravoure et tendresse.
Pas un n'est complètement détestable ou admirable, à part peut-être la belle-fille de Slimane, qu'on ne peut qu'aimer il me semble.
Slimane est posé comme la figure paternelle adulée par tous, à part son ex-femme qui pourrait bien '"ressortir les dossiers" ! Il se bat depuis toujours pour laisser quelque chose à ses enfants et petits-enfants, mais on se rend compte à la fin que c'est une quête éperdue, une fuite en avant, une course vers quoi ? C'est l'habitude de se battre, presque sans réfléchir. Une sorte de passivité active. Les femmes, elles, se battent dans une direction bien précise, elles ont une énergie et surtout une tchatche qui permettent à Slimane de mener à bien son projet. Pourquoi Slimane se bat-il pour elles, ou pour ses fils ? Ils n'en ont pas besoin. Eux l'aident car ils veulent l'aider lui à réaliser un rêve. C'est l'histoire d'une absurdité qui se mord la queue, un besoin de réalisation, d'agitation, de fièvre. Peut-être juste une histoire de preuves d'amour.
Sa seconde femme, qu'a-t-elle de "purement maghrébin", Shéhérazade ? Elle a son propre hôtel, elle vit en concubinage avec Slimane, elle ne cuisine pas bien, elle fait passer sa fierté avant cette fameuse solidarité. Pourtant c'est elle qu'aime Slimane. Qu'a-t-il, lui aussi, de "purement maghrébin", lui qui ne veut pas retourner au bled ? Ce film est exemplaire en ce sens, il montre combien nous sommes proches, toi et moi, Shéhérazade. Ni "purement maghrébin", ni "purement français", juste des personnes.
Il m'a semblé, à moi, que les corps étaient en jeu durant tout le film, du début à la fin (ça débute d'ailleurs par une scène de fesses !). Certes, à la fin, les paroles s'effacent pour ne laisser que les corps, et les coeurs.

La parole des femmes y est souvent un débordement, leur façon de se battre, se révolter. Les hommes se taisent le plus souvent, ou disparaissent carrément, écrasés par ces flux. Ils restent dans un schéma obsolète, qu'elles combattent plus ou moins consciemment.

Scénario parfois maladroit ou invraisemblable, proche du conte de fées ou du film catastrophe, on y a adhère malgré tout, parce qu'on le veut bien, parce que ça le vaut bien, parce qu'un documentaire nous aurait moins intéressés. Et parce que la réalité, la vérité de ce film sont ailleurs, d'une justesse parfaite, je crois.







Publié dans Clara

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