L'été en hiver

Publié le par Clara

kupka-lesnuages.jpgIl s'est passé beaucoup de choses ces jours-ci. D'abord, un livre que je lis qui parlais de chiens m'a brusquement rappelé celui que j'avais enfant. Disons, celui qu'avaient mes parents. Je ne crois pas avoir jamais réclamé un chien, ni mon frère ou mes soeurs. On parle beaucoup de père sur ce blog aujourd'hui, alors je crois que ça venait de mon père, le chien. A la limite, j'aurais aimé un magnifique chien racé, un labrador ou un dalmatien qui nous aurait toisés avec hauteur. Mais c'était un caniche. Abricot, la couleur. C'était l'année des P, et il écopa du patronyme de Pacha. J'ai fait exprès d'écrire patronyme, parce que c'était mon père qui avait choisi. Je crois que je ne l'aimais ni ne le détestais, ce caniche abricot au nom ridicule. Il m'était parfaitement indifférent. Je me demandais juste par quel coup du sort malheureux il se retrouvait là dans nos pattes, on manquait l'écrabouiller à chaque pas. Sa misérable condition, ainsi que la nôtre, m'apparut dans toute son horreur la première fois qu'il fit pipi à la maison. Ma mère (parlons des mères), pour lui ôter l'envie de recommencer, lui enserra sa petite tête d'une main et lui approcha le museau de la flaque. Tout le reste du corps du pauvre animal se rebellait, mais le petit crâne n'avait plus de liberté. Ce jour-là, je sus que l'on ne pouvait s'en remettre ni au règne animal, ni au règne humain. Il y avait du mépris à éprouver pour les deux camps.
Ce souvenir enfoui me laissa perplexe un bref instant, mais il y eut les nuages roses, et des nuées d'oiseaux sur le bleu du ciel. Jusqu'à ce que, dans l'un de ces lieux où l'on ne peut faire qu'attendre, assis sans bouger beaucoup, un petit garçon se plantât devant moi avec son épée. Que l'on me pardonne à l'avance, mais c'est ainsi : j'éprouvai un fulgurant élan d'antipathie pour le minot. Je crois que c'était parce qu'il avait déjà une tête d'adulte. Et d'adulte antipathique. Il me semblait parfaitement ridicule, à jouer aussi bien le rôle d'enfant, avec une perfection suspecte : il marchait au pas, se muait en soldat de plomb, puis tendait la pointe de sa rapière vers moi avec une conviction énervante. Je décidai de ne pas même lui adresser un sourire, oh non, cela eût valeur d'encouragement. Je lui fis l'affront de ne pas même le regarder dans les yeux, et de replonger dans mon bouquin. Le futur grand soldat bêtement obéissant eut quelques secondes de silence déçu, avant de s'attaquer à quelqu'un d'autre.
Ma quiétude retrouvée fut de courte durée. Une jeune fille dégaina son téléphone portable et commença à y raconter très fort sa petite vie insignifiante. Il y a des jours comme ça, où, en attente, que ce soit d'un grand bonheur ou d'une grande joie ou d'amis à retrouver, on a paradoxalement une attention très aiguë face aux vices de l'humanité. Sans l'amertume du cynisme. Une sorte de prescience. Une humaine lucidité. Une anticipation équilibrante. J'appris, parfaitement contre mon gré, que la bavarde avait 23 ans, pleuré toute la semaine dernière parce qu'il y avait trop de boulot à la fac, souffrait de migraines ophtalmiques, allait à un anniversaire ce soir, a été à une soirée DVD il y a 2 jours, était fatiguée, pensait qu'Aline lui avait menti, que le TD de lundi serait mortel, etc... Le tout égrené d'une voix traînante et heureuse de s'écouter dire des banalités aussi creuses que son pauvre cerveau. Je décrétais qu'elle était laide. Je me retournai et fus bêtement satisfaite de ne m'être point trompée.
Je tentai le même pronostic le lendemain. Une autre jeune fille parlait à une oreillette. Une heureuse coïncidence lui fit dire la même phrase que l'autre la veille : j'ai eu un coup de coeur. La première marqua l'intonation sur le UN, puis martela la suite en appuyant sur les "c" et le "d". La seconde dit le tout comme en un souffle. On entendit bien les "c", mais à peine le mot coup, et le mot coeur sembla suspendu dans les airs, laissé là miraculeusement. Je décidai que cette fille-là était très belle. Bingo. Regard de braise, peau fine et mate, visage de madone et longs cheveux noirs brillants. Corps parfait.
Puis il y eut le soleil fantastique. Aujourd'hui, j'ai vu des gens en tee-shirt. Quelqu'un de sans doute très important a décrété qu'aujourd'hui, contre toute logique, c'était le début de l'été. Un oiseau nous l'a gazouillé cette nuit, il était 2h30, c'était tout à fait incongru qu'il chante à cette heure-ci, devant la mer à l'ombre de lune scintillante et sous la cape de la nuit étoilée. Il nous avertissait gentiment, amusé que nous ayons froid. Nous, on avait des Black Betty et des Brio dans la tête, et comme souvent ces derniers temps, on avait quinze ans, enfin surtout elle.
Alors aujourd'hui, rien que pour nous, c'était l'été. Et, bien que nous fassions partie de la race humaine, bon sang de bois ce que la vie est belle.

Publié dans Clara

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Oui j'ai fait un peu exprès de n'évoquer que la périphérie !
Répondre
L
ouais... oooh t'avais au moins six mois de plus que moi!   Et puis t'as pas évoqué la chaleur et les fous-rires dans le café qui cache son jeu,   la joie de partager un moment plein, avec son coeur justement...
Répondre