oui, devenir
et je tombe sur ces phrases
Il faut laisser les enfants lire des livres illisibles à eux. Il faut qu'ils tombent dans l'ennui d'un été de guerre ou de vacances pour que l'abordage brutal des mots les bouleverse d'une absence, d'une plénitude obscures. Quelle opération mentale assortit aux mots le chiffre du monde, celui du cœur et du corps, de l'esprit ? Pour déchiffrer, il faut qu'il y ait du chiffre, du secret, de l'opacité, des résistances occultes. Il faut laisser les enfants tomber dans ce qui ne les regarde pas, pour que cela les regarde. Il faut qu'ils ouvrent des livres qui ne sont pas écrits pour eux, et qu'ils passent les pages illisibles, en diagonale, à l'aventure, au petit bonheur la chance. Les laisser s'égarer, verser des pans entiers de désert sans carte, mal lire. Bout à bout anachronique, éclectique, hasardeux, on ne sait où ni quand les épiphanies adviennent, quand s'ouvrent à eux les portes de l’imaginaire qui illumine leur vie.
-Anne-Marie Garat, L’Enfant des ténèbres, Actes Sud, 2008 (page 612)-