Maud Fontenoy, l'océan a contre-courant

Publié le par ad

Surmontant le démâtage de son monocoque de 26 mètres, la navigatrice a achevé, hier à la Réunion, son tour de l'hémisphère Sud. Journal de bord.
Cinq mois de mer, trois passages de cap et un démâtage, l'ancienne rameuse de l'Atlantique et du Pacifique en a terminé hier avec son difficile pari contre les courants et les vents dominants, baptisé dans un premier temps, et un peu promptement, «Tour du monde à l'envers» et qui fut finalement intitulé «Tour de l'hémisphère Sud» Il ne s'agit pas d'amoindrir la performance, car Maud Fontenoy en a affreusement bavé sur l'ancien bateau de Jean-Luc Van den Heede (VDH) (26 mètres), qui lui même avait bouclé, pour le coup, le fameux «Tour du monde à l'envers» en 122 jours. On soulignera que la Britannique Denise Caffari, en mai 2006, qui avait terminé un réel tour du monde à l'envers en 178 jours, reste la seule femme à avoir bouclé ce parcours emprunté auparavant par Mike Golding, Philippe Monnet et VDH.
Partie de la Réunion, le 15 octobre, à bord de son monocoque L'Oréal Paris, Maud Fontenoy a coupé hier à 15 heures la ligne fictive au large de la pointe septentrionale de la Réunion, après 151 jours de mer. Thomas Coville, le navigateur «tourdumondiste», a tenu hier à saluer la performance : «Parce que je suis un compétiteur, le résultat me semble moins grandiloquent. Ce genre de projet mérite tout simplement le respect. Il n'y a que Maud pour pouvoir juger de ce qu'elle a accompli aujourd'hui. Le monde a besoin de ces histoires et de ces visages revenus d'ailleurs.» Extraits du carnet de bord de la navigatrice.
Jeudi 19 octobre 2006 
Quatrième jour de mer. Les premiers jours ont été difficiles et j'ai beaucoup pleuré. J'ai eu beaucoup de mal à m'alimenter et à m'accorder des tranches de sommeil, mais je commence à m'adapter au bateau. Je fais attention quand le vent souffle fort car L'Oréal Paris ne pardonne aucune erreur. Pour l'instant, mon corps se rebelle, mais je savais que le début ne serait pas facile !
Jeudi 2 novembre 
18 jours en mer. Le cap de Bonne-Espérance est derrière mais ne reste pas forcément un excellent souvenir. Le premier cap passé, l'Atlantique me laisse une chance de rejoindre le cap Horn...
Vendredi 8 décembre 
Le passage du cap Horn. J'ai plusieurs dépressions qui foncent sur moi et j'ai actuellement 45 noeuds de vent avec plus de 6 mètres de creux. C'est une navigation douloureuse : L'Oréal Paris et moi sommes secoués dans tous les sens. Ça reste néanmoins un grand bonheur, et j'ai vraiment l'impression d'avoir accompli quelque chose. Ce soir, j'ai deux caps acquis, et maintenant je vais m'approcher de l'été austral, ce qui devrait être signe de conditions moins difficiles, du moins je l'espère ! Cependant, je dois rester concentrée et vigilante, car la route est encore longue devant moi.
Dimanche 14 janvier 2007 
Passage de la pointe sud de la Nouvelle-Zélande. Il s'agit là du point le plus Sud du parcours, et normalement je vais bientôt mettre cap plus au nord et rejoindre des zones de navigation un peu plus clémentes et chaudes. La prochaine grande étape sera le passage du continent australien, ce sera alors la remontée vers la Réunion et, j'espère, moins de tempête. Maintenant, il me tarde vraiment d'arriver car je commence à être usée physiquement et moralement par toutes ces tempêtes ! Je croise les doigts pour arriver vers la fin février et boucler mon tour du monde !
Samedi 10 février 
Démâtage de L'Oréal Paris. 119e jour de mer, 900 milles nautiques des côtes australiennes (environ 1 650 km), dans l'océan Indien. J'avais 20-25 noeuds de vent avec une grosse houle. Le mât est tombé dans un bruit pas possible. Pourtant, j'ai vu tellement plus dur comme conditions avec le bateau. Je suis sous le choc. C'est assez effrayant d'être là.
Dimanche 11 février 
Je veux continuer. Aux premières heures du jour, je me suis mise au travail pour libérer le pont dix heures durant. Le mât brisé en deux refusait d'abord de lâcher prise. J'ai cogné, tiré dessus, arc-boutée à me rompre le dos. J'en suis ressortie lessivée. Je ne pensais pas qu'un jour j'arriverais à faire ça dans ma vie et que je réussirais. J'ai mal partout, je suis couverte de bleus et j'ai les mains en sang. J'ai une allergie aux yeux à cause de la poussière de carbone. Je dois désormais me reposer un peu, mais il faut rester vigilante. Pendant quelques heures, je vais me forcer à dormir. Aujourd'hui, j'ai passé l'étape nettoyage. J'ai un bateau qui est sain, dans lequel je suis en sécurité. Demain, j'irai sur le pont pour tenter de faire un gréement de fortune. J'ai conservé la bôme à bord, et je tenterai de monter une petite voile.
Lundi 5 mars 
La Jeanne d'Arc est à vue. 900 milles du but. Je n'en ai pas cru mes yeux. J'avais les larmes aux yeux en voyant la banderole qu'ils avaient préparée !
Mardi 13 mars 
Dernière nuit en mer. Je reste muette d'émotion, la gorge serrée, le coeur qui tambourine dans ma poitrine, je crois que rien n'a jamais été plus beau que cet instant. Un sentiment de paix incroyable m'enveloppe comme un voile léger. Mes jambes tremblent.

(Libération du 15/03/07)
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C
Alors ça, ça c'est de la vraie beauté.
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